Hommage à Pierre Etroy, ferronnier d 'art

 

   

           Il est encore écrit « EXPO » à l’entrée. Combien sont passés à côté un jour de messe ou de promenade, imaginant ce qu’il y avait derrière cette porte, dans cet atelier, sans s’y arrêter toutefois. Aller voir un artiste, c’est parfois aussi difficile que d’entrer seul dans une église. Il faut s’y être préparé… Ce mardi de juillet, nous avions rendez-vous avec Madame ETROY, et les circonstances nous avaient déjà remplis d’une émotion palpable. Quand la porte s’est ouverte, nous ne sommes pas entrés dans un froid sanctuaire, dans un musée dédié à l’artiste après sa mort. Rien de tout cela. Au contraire, c’est la vie-même qui nous a accueillis. La vie éclatante des reflets métalliques, l’argent parlant au cuivre. La vie du métal courbant l’échine sous le marteau du ferronnier, cette impression de souplesse, de douceur même, comme si l’artiste avait donné une âme tendre au métal froid et dur. Est-ce cela qu’il appelait « l’alchimie métallique » ?

 

La profusion de pièces, d’aquarelles et de remises de prix (dont le très fameux grand prix des « Mains d’or ») rendait l’approche délicate et confuse. Nous avons d’abord laissé nos regards apprivoiser les pièces, reconnaître ici une main et là des poissons énormes et si réalistes,  jusqu’aux écailles rendues par on ne sait quel coup de génie lumineux ! Puis, parmi ces œuvres figuratives, nous avons découvert un ensemble de pièces plus symboliques, « Le  piège du temps », « Aurore » aux reflets bleutés ou encore « La vie ». Cette dernière pièce est somptueuse : circulaire, elle laisse apparaître les éléments que sont l’eau, la terre, l’air et le feu dans un assemblage harmonieux de courbes, où l’on peut lire la naissance du monde, l’œuf, la matrice, ou l’explosion lumineuse d’énergie originelle… Il y aurait tant à dire de la réflexion ontologique et cosmologique auxquelles nous invitent ces œuvres !

Guidés par Madame ETROY, nous avons déroulé le fil du temps, du licenciement en 1976 aux premiers lustres en fer forgé façonnés dans le garage de l’oncle ; du premier Don Quichotte -si précieusement gardé par sa femme- vers des créations plus métaphysiques. Mais la maladie rendait le maniement des outils plus pénible chaque jour, et le choix de l’aquarelle devint peu à peu l’unique occupation artistique. On ne put néanmoins jamais vendre le matériel de soudage désormais inutilisé, le vendre ce serait mourir un peu, il s’y opposa tout net…

 

 

Un fil d’Ariane suivi au cours de notre visite non sans digressions et anecdotes. Madame ETROY nous raconte par exemple que Pierre a hanté des années durant les brocantes pour y acheter… des fourchettes en argent ! Combien ont fondu sous la flamme pour ajouter le reflet voulu au bon endroit ? Un nombre incalculable ! Une autre anecdote nous revient, qui montre assez bien comment fonctionnait l’artiste : un jour Pierre voit un scarabée devant la porte de l’atelier. Il sort, l’observe, le prend, l’observe, le dessine, l’observe encore, à la recherche du détail tel un naturaliste, en prenant son temps, dans une sorte d’échange avec la bête… et puis dès le lendemain le voilà qui découpe, plie, martèle et soude; et l’œuvre en gestation apprend le langage poétique du métal. Quelques dizaines d’heures, de jours, de semaines plus tard, l’insecte métallique est exposé, radieux. Il en est ainsi de beaucoup de pièces, jaillies de la nécessité soudaine d’une confrontation entre la réalité du monde et l’espace intime de l’artiste.

 

 

C’est les larmes aux yeux que vous quittez les lieux, comme si vous aviez perçu dans cette visite l’ultime salut d’un ami. L’homme n’est plus, mais son œuvre reste et le fait vivre autrement. Elle traduit si bien ce que les mots peinent à exprimer, cette faculté qu’a la matière de se transformer jusqu’à devenir spirituelle, cette « réalité si rude à étreindre » comme dirait Rimbaud, qui sous les mains de l’artiste devient de l’or…

 

 

 



25/09/2008
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